Les nationalistes et la Commune de Paris de 1871

Je propose à votre lecture cet article très intéressant de XXX, conseiller national du Parti de la France, à propos de La Commune.

Les nationalistes et la Commune de Paris de 1871

L’identité d’un courant politique est fait, entre autres, de ses références historiques. A plus forte raison, le nationalisme, en tant que doctrine ayant pour but la défense de la nation, doit montrer son enracinement dans le passé de celle-ci, ce qui le distingue naturellement des idéologies hors-sol et apatrides. Parmi les références historiques habituelles chez les nationalistes français, il en est une, récurrente, qui peut surprendre : la Commune de Paris de 1871.

En effet, celle-ci fait partie intégrante de la « mémoire » de la gauche socialo-communiste depuis la fin du XIXe siècle, et encore récemment, le 29 novembre 2016, l’assemblée nationale majoritairement socialiste (avec le soutien du gouvernement de l’époque) a voté la réhabilitation officielle des « victimes de la répression de la Commune de Paris de 1871 », rendant hommage « à ces femmes et ces hommes qui ont combattu pour la liberté » estimant « nécessaire que soient mieux connues et diffusées les valeurs républicaines portées par les acteurs de la Commune de Paris ».

Pourtant, d’Égalité et Réconciliation à Troisième Voie en passant par Jeune Nation, Terre et Peuple, Europe-Action ou le Mouvement Nationaliste Révolutionnaire (on peut rajouter, en remontant un peu dans le temps, le Parti Populaire Français), un grand nombre de mouvements nationalistes se sont réclamés (et pour certains se réclament encore) de la Commune (le groupe de rock identitaire Vae Victis ayant même écrit une chanson en son honneur) et viennent volontiers rajouter leurs fleurs à celles de leurs adversaires politiques au pied du mur des fédérés. Cet engouement est tel qu’en mai 1966, un ancien franciste et collaborateur de la revue Défense de l’Occident, Jean-Marc Aimot, fonde « Les amis du socialisme français et de la Commune » avec, entre autres, Maurice Bardèche, Marc Augier dit « Saint-Loup » et le futur rédacteur en chef de l’hebdomadaire Rivarol Pierre Dominique ; cette association sera proche dans les années 1980 du Parti Nationaliste Français et de la revue Militant (qui se réclame dès sa fondation de Proudhon, Blanqui, Barrès et bien sûr de la Commune). « Les amis du socialisme français et de la Commune », selon le communiqué annonçant sa création, veut « faire renaître un socialisme national, incarné par Proudhon, Blanqui, Sorel, Fourier, Saint-Simon et Le Play », une doctrine qui fut « tuée avec la Commune » puis « étouffée, falsifiée, détournée par le courant de la pensée marxiste » : pour elle, comme pour l’ensemble des nationalistes déjà cités, la Commune serait le symbole d’un bon socialisme national, bien français, opposé au marxisme et précurseur du nationalisme. Mais cette vision correspond-elle à la réalité historique ?

Au début de l’année 1871, la France est vaincue militairement et en partie occupée par les armées allemandes. Depuis septembre 1870, le gouvernement de la défense nationale, notamment son ministre de l’intérieur Léon Gambetta, essaye de rétablir la situation par la guerre à outrance, s’appuyant sur les « glorieux » souvenirs de 1792, mais il ne fait qu’aggraver la situation de jour en jour, au point que son ministre des affaires étrangères Jules Favre doit demander l’armistice au chancelier Otto von Bismarck. Suivent des élections législatives ayant comme principal enjeu la guerre ou la paix : le 8 février 1871, celles-ci donnent une victoire écrasante aux conservateurs partisans de la paix (menés par Adolphe Thiers), contre les républicains partisans de la guerre (menés par Gambetta). Mais cette élection est rejetée par de nombreux Parisiens, car encore une fois Paris s’est distinguée de la province : déjà en juin 1848, les Parisiens s’étaient insurgés contre une assemblée élue au suffrage universel mais trop conservatrice à leur goût ; en mai 1870 Paris avait majoritairement voté contre Napoléon III alors que la province l’avait massivement soutenu, en septembre suivant les républicains parisiens profitent de la défaite de Sedan pour renverser l’Empire et proclamer la République, mettant la province devant le fait accompli (et cela en pleine guerre). Cette fois, alors que la province veut la paix, Paris donne la majorité à la gauche républicaine et belliciste, et méprise les nouveaux élus monarchistes, les traitant de « ruraux ». Le 18 mars 1871, elle se révolte ouvertement contre le nouveau gouvernement dirigé par Thiers qui doit quitter Paris pour Versailles.

Durant ces quelques mois d’existence, la Commune va avoir une activité débordante. Soutenue principalement par les ouvriers, artisans et petits commerçants de l’est parisien, elle prends une série de mesures sociales : ateliers « autogérés » par les ouvriers eux-mêmes, annulation des loyers non payés depuis octobre 1870, interdiction des amendes patronales et retenues sur salaire, etc. Mais elle va surtout prendre des mesures éminemment politiques, et d’abord hautement symboliques : le drapeau rouge est adopté et remplace le tricolore, le calendrier chrétien est remplacé par le calendrier républicain (on se retrouve donc en l’an 79 de la République), un certain nombre de monuments et bâtiments sont détruits (colonne Vendôme, palais des Tuileries,…) ; mais aussi des réformes très progressistes sur les mœurs : reconnaissance de l’union libre, suppression des différences entre enfants légitimes et enfants naturels, suppression de l’autorisation paternelle pour les mariages, etc. Elle prend aussi une mesure étrange pour des socialistes censés être « nationaux » : elle ouvre la citoyenneté aux étrangers car « le drapeau de la commune est celui de la République universelle » : c’est ainsi qu’on trouve dans sa commission exécutive le juif hongrois Léo Frankel. Il faut dire que cette idée de « république universelle » n’étonne pas trop quand l’on sait qu’un tiers des élus de la Commune étaient francs-maçons ; le 26 avril 1871, c’est une véritable procession maçonnique à laquelle peuvent assister l’ensemble des Parisiens : cinquante-cinq loges, plus de dix mille francs-maçons conduits par leurs dignitaires et revêtus de leurs insignes se rendent sur les remparts pour y planter soixante-deux bannières. Dans le même temps, comme on peut l’imaginer, les processions catholiques ne peuvent pas vraiment rivaliser.

Dès la proclamation de la République en septembre 1870, certaines églises sont occupées et servent de lieux de réunions publiques, mais à l’époque le gouvernement de défense nationale va rapidement y mettre fin. Sous la Commune, l’anticléricalisme devient officiel : séparation de l’Église et de l’État, suppression du budget des cultes, confiscation des biens des congrégations, interdiction de l’enseignement confessionnel et des signes religieux dans les salles de classe, laïcisation de l’école publique. Le Panthéon, rendu au culte catholique par Napoléon III et redevenu l’église Sainte-Geneviève, est de nouveau laïcisé dès le 30 mars : les troncs sont vidés, les objets inventoriés, les portes fermées, et deux ouvriers scient les deux bras de la croix du fronton et y attachent un drapeau rouge. De nombreuses églises servent de nouveau de lieux de réunions publiques où l’on y boit, fume, et blasphème sans retenue. Elles sont presque toutes perquisitionnées, souvent saccagées et profanées, on assiste à des mascarades anti-religieuses faites avec les objets sacrés (on vit même une macabre mise en scène à l’église Saint-Leu : deux corps de femmes qui n’avaient pas encore été enterrés sont exposés sur la voie publique avec cet écriteau : « jeune fille violée et enterrée vivante par les prêtres »), un certain nombre d’églises sont fermées au culte, de nombreux prêtres (dont l’archevêque de Paris, Mgr Darboy) arrêtés, certains seront libérés contre versement d’une forte rançon, d’autres auront moins de chance : l’archevêque de Paris Mgr Darboy, des prêtres diocésains et des religieux (notamment jésuites et dominicains) sont fusillés, d’autres prêtres et religieux sont massacrés par la foule au milieu d’autres otages (notamment des gendarmes). C’est en réparation de ces nombreux crimes que, sur décision de l’assemblée nationale monarchiste élue en 1871, sera érigée en 1875 sur la colline de Montmartre la basilique du Sacré-Cœur, à l’endroit même ou débuta l’insurrection de la Commune.

En bref, on comprend parfaitement pourquoi la gauche socialo-communiste lui rend hommage : les communards ont été les dignes continuateurs des jacobins de 1792-1794 et précurseurs des bolcheviks de 1917 ou des « républicains » espagnols de 1936. Mais alors pourquoi une partie de la droite nationale s’en réclame ?

Cela s’explique d’un point de vue historique : la Commune va devenir une glorieuse légende pour les ouvriers parisiens qui, durant plusieurs décennies, vont voir comme des héros ceux des leurs y ayant participé. Mais ils vont aussi en garder une forte rancune contre la république parlementaire responsable de la répression. De plus, dans le contexte de la Revanche, leur jusqu’au boutisme belliciste va passer pour patriote. A partir de la fin des années 1880, un certain nombre d’anciens communards seront attirés par le boulangisme qui, il faut le rappeler, est d’abord le fait d’un général radical regroupant autour de lui des radicaux et des socialistes (dont un certain nombre de juifs et de francs-maçons) hostiles au régime parlementaire (la droite ne s’allie avec lui que temporairement et partiellement) ; certains d’entre eux (souvent les mêmes) seront aussi séduits par le discours antisémite de Drumont (qui, venu de la droite catholique, reprend entre autres l’antisémitisme socialiste et anti-capitaliste d’une partie de l’extrême-gauche). Dans ce contexte, le prolétariat parisien devient une cible prioritaire du courant nationaliste en formation. Drumont exonère le peuple parisien des crimes de la Commune, les mettant d’abord sur le dos des juifs et des étrangers (présents mais largement minoritaires), ensuite sur le dos des communards issus de la bourgeoisie (qui auraient été des bohèmes sanguinaires, à l’opposé de l’ouvrier parisien forcément digne et pur ; il fera d’ailleurs pareil pour les crimes de la Révolution). Cette idéalisation du prolétariat devient d’ailleurs très courante, et ce durant plusieurs décennies, au sein du courant nationaliste français : on se bouscule pour se proclamer le défenseur des ouvriers, on met en avant le moindre d’entre eux devenu nationaliste, on se vante d’avoir un grand succès auprès d’eux, et à l’inverse on rivalise de dureté contre une bourgeoisie décadente et jouisseuse, irrémédiablement perdue pour la patrie, contrairement à un prolétariat qui, même égaré par le marxisme, reste honnête et fort, capable de changer les choses. Par ailleurs, sur le plan des idées, on aime à se revendiquer d’un socialisme national, hostile à l’internationalisme, qui aurait été celui des socialistes français du XIXe siècle et de la Commune. Cette propagande n’est pas désintéressée : en somme, les chefs nationalistes de l’époque font le même calcul que Karl Marx qui, cherchant un moyen de faire la révolution, trouve que le prolétariat serait le plus susceptible de la faire. Pourtant, cette vision ne résiste pas à un examen objectif : les mouvements nationalistes, en France comme dans le reste de l’Europe, ont le plus souvent comme base sociologique les classes moyennes, qu’on appelle aussi la petite bourgeoisie, les ouvriers y ayant toujours été beaucoup moins représentés qu’à l’extrême-gauche, l’ironie étant que pratiquement tous les cadres nationalistes tenant ce discours étaient issus de la bourgeoisie.

On juge un arbre à ses fruits, et nous avons vu ceux de la Commune : collectivisme, internationalisme, antimilitarisme (qui se traduit aussi par un anti-bonapartisme agressif), anticléricalisme et même anti-catholicisme virulent, voilà ses œuvres. De plus, depuis la seconde guerre mondiale, les nationalistes savent que le bellicisme germanophobe n’est pas une preuve de nationalisme ni même de patriotisme. Déjà, on trouve aujourd’hui beaucoup moins de nationalistes faisant l’éloge de la Révolution de 1789 qu’il y a encore un siècle, cette référence historique apparaissant à raison comme maçonnique, il serait donc temps de faire de même avec la Commune.