L’abbé de La Rocque contre le sédévacantisme

Chers amis, suite à la parution de Contre le sédévacantisme le 15 août dernier, certains sédévacantistes ont attaqué notre travail.

La Providence fait qu’aujourd’hui, le site Médias-Presse-Infos a diffusé une « lettre à un fidèle sur le sédévacantisme » par monsieur l’abbé Patrick de La Rocque, de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X.

Nous la reproduisons ici car elle complète utilement notre travail sur ce sujet, et nous en profitons pour vous rappeler que vous trouverez ici une considération de notre part qui est également un argument contre les prétentions des sédévacantistes.

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Cher Monsieur,

Par courrier, vous m’avez partagé vos interrogations relatives au sédévacantisme.

Pour qui accepte en effet d’ouvrir les yeux avec franchise et esprit surnaturel, la situation que traverse l’Église en général et la papauté en particulier depuis un demi-siècle est terriblement déconcertante. Alors que « l’Esprit Saint a été promis aux successeurs de Pierre non pour qu’ils fassent connaître sous la révélation une nouvelle doctrine, mais pour qu’avec son assistance ils gardent saintement et exposent fidèlement la révélation transmise par les apôtres, c’est-à-dire le dépôt de la foi » (Vatican I, Const. Pastor æternus), il est patent que les papes récents usent hélas de leur position non à cette fin, mais pour promouvoir au contraire une doctrine humaniste et libérale maintes fois condamnée par leurs prédécesseurs, et n’hésitent pas à mener cette utopie jusqu’en ses conséquences les plus dramatiques. Ainsi avons-nous vu Jean-Paul II embrasser le Coran et invoquer saint Jean Baptiste pour qu’il protège l’Islam, ou le pape François célébrer la Pachamama au Vatican. De même, les principes moraux les plus établis sont désormais ébranlés, au point de légitimer la communion des divorcés remariés et des protestants, ou d’entraîner la quasi domination des lobbys LGBT+ dans le langage officiel de l’Église. Tout cela ne se fait que sur les cendres de la Tradition catholique, reniée en nombre de points, y compris dans sa liturgie. Ces papes ont d’ailleurs officiellement banni la Tradition bimillénaire de l’Église lorsqu’ils condamnèrent ceux qui, rejetant ces principes erronés et leurs conséquences blasphématoires, voulurent rester fidèles au dépôt de la foi que la fonction pontificale a précisément pour mission de défendre.

Au vu de ces trahisons romaines, sont apparues ce qu’on appelle les thèses sédévacantistes. Plurielles, elles refusent toutes, d’une manière ou d’une autre, de reconnaître le(s) pape(s) actuel(s) comme successeur(s) de Pierre. Un pape, disent leurs tenants, ne peut enseigner l’erreur et la promouvoir tout en restant pape. Aussi considèrent-ils « vacant » le « siège » de Pierre, d’où le terme de sédévacantisme.

Face à ces thèses sédévacantistes, me dites-vous, le positionnement de la Fraternité Saint-Pie X vous paraît flou, lâche, voire contradictoire. Flou tout d’abord, car Mgr Lefebvre lui-même, en plusieurs de ses interventions, semble avoir ouvert la porte à ces thèses sédévacantistes, sans jamais se prononcer réellement. Ce positionnement vous paraît également lâche, puisqu’à votre sens jamais aucune réponse de fond n’a été apportée aux arguments avancés par le sédévacantisme ; loin d’apporter ces réponses, les prêtres de la Fraternité Saint-Pie X esquivent ce débat pour se réfugier, dites-vous, dans des arguments moralisateurs que les progressistes n’ont pas manqué d’utiliser lorsqu’il s’agissait de vilipender la Tradition. Enfin, il vous paraît contradictoire que Mgr Lefebvre, dans la lettre qu’il adressait aux futurs évêques en 1987, puisse écrire d’une part que « le siège de Pierre est occupé par l’antéchrist », tout en reconnaissant d’autre part Jean-Paul II comme successeur de Pierre, détenteur donc du pouvoir des clés.

Une opinion fragile, qui ne peut s’imposer pratiquement

Éclairer quelque peu votre lanterne réclame de resituer tout d’abord les arguments avancés par les tenants du sédévacantisme. Une telle mise en perspective expliquera d’ailleurs pourquoi, de manière habituelle, les prêtres de la Fraternité Saint Pie X n’entrent pas dans un tel débat, et ne méritent pas pour autant le qualificatif de « lâches », loin s’en faut.

Certes, d’un point de vue purement spéculatif, la question peut effectivement se poser de savoir si un pape enseignant habituellement l’hérésie et agissant en ennemi de l’Église, peut encore être pape ou non. Les théologiens n’ont pas manqué de la soulever, essentiellement à partir du XVI° siècle. Les sédévacantistes d’aujourd’hui ne font que puiser en ces débats d’alors les arguments allant dans leur sens. Outre leur regard peut-être partisan, ils oublient surtout que ce débat d’école reste un débat purement spéculatif entre théologiens, ouvert effectivement à des opinions divergentes, mais qui ne sont que des opinions personnelles.

Or, qu’est-ce qu’une opinion ? Par définition, elle manque de certitude ; si certains éléments font pencher l’intelligence d’un côté, ceux-ci ne sont pas assez déterminants pour l’obliger, et donc la lier. C’est pourquoi, chez tout théologien digne de ce nom, les opinions personnelles, bien que respectant en tous points les données de la foi, n’en restent pas moins soumises au jugement de l’Église : dans l’ordre surnaturel, elle seule est maîtresse de vie. Elle seule, en explicitant par son Magistère le dépôt révélé, apporte la certitude. Jamais donc une opinion théologique, qui plus est lorsqu’elle n’est pas communément admise, ne pourra se poser en principe déterminant.

C’est précisément ce qu’ont oublié les sédévacantistes. Ils érigent leur opinion personnelle, par ailleurs fragile, en jugement absolu. Là est leur orgueil, là est leur première déviance : l’âme catholique, qui plus est théologienne, n’a pas pour but d’établir sa propre sagesse en principe de vie, et encore moins en principe vital s’imposant à tous. Sa quête vise à vivre conformément à la Sagesse de Dieu, transmise par le Magistère constant de l’Église. Or jamais le Magistère de l’Église ne s’est prononcé sur le sujet, et pas seulement parce qu’elle n’en a pas eu l’occasion. La seule chose que dit la Révélation (Ga 2, 11-14), c’est que Pierre une fois pape n’a pas toujours marché selon la vérité, et que saint Paul crut de son devoir de le reprendre publiquement.

Aussi, quand bien même on pencherait vers une opinion spéculative sédévacantiste, il serait téméraire et dangereux en un point aussi grave d’une part, aussi complexe théologiquement d’autre part, d’en faire une ligne de conduite pratique. Il serait encore plus orgueilleux de prétendre l’imposer à tous en affirmant que seules les messes non una cum (refusant de citer le pape au canon de la messe) sont agréables à Dieu (Voir note 01 en bas de page).

Ce qui vient d’être dit explique pourquoi, de façon habituelle, les prêtres de la Fraternité Saint-Pie X refusent d’entrer dans le débat spéculatif qu’agitent les milieux sédévacantistes : ce débat est stérile car, faute d’argument magistériel, jamais il n’aboutira à une certitude, et donc à une ligne de conduite. S’il n’est pas exclu qu’un jour, forte d’éléments qui nous manquent, l’Église déclare anti-pape tel ou tel de ceux qui ont occupé le Siège de Pierre depuis un demi-siècle, jamais un laïc, un prêtre ou un évêque, si « sachant » qu’il prétende être, ne pourra parler de façon déterminante en ce domaine. Ce refus de la discussion de la part de la Fraternité Saint-Pie X, loin d’être une lâche dérobade, relève simplement de l’humilité élémentaire, qui fait hélas défaut aux sédévacantistes.

Constat partiel, opinion partiale : la visibilité de l’Église

Outre qu’elles érigent en certitude ce qui n’est tout au plus qu’une opinion possible d’un point de vue purement spéculatif et non pratique, les thèses sédévacantistes ont encore le tort de baser leurs réflexions sur un état des lieux partiel, faussant d’autant leur jugement. Si en effet ils constatent la profondeur et la gravité de la crise de l’Église, ils oublient par trop ce qu’est l’Église telle que fondée par Notre-Seigneur Jésus-Christ, et délaissent certaines de ses caractéristiques essentielles ; entre autres, sa visibilité.

Il est en effet de foi que l’Église est une société visible. Cela est inscrit dans la Révélation, lorsque saint Paul dit de l’Église qu’elle est au Christ ce que le corps est à la tête, et plus encore du fait même que Notre-Seigneur ait bâti l’Église sur Pierre.

De tout temps, la visibilité de l’Église a été attaquée, car de tous temps a existé la tendance de réduire l’Église à la société des bons. Or comme la bonté intérieure est invisible, ces schismatiques et hérétiques rejetaient de facto la visibilité de l’Église. Ainsi des donatistes (IV° siècle), que saint Augustin réfuta en leur rappelant que, depuis la présence de Judas dans le collège apostolique, l’Église ici-bas sera toujours composée de bons et de méchants. Ainsi plus tard de Wicleff (XIV° siècle) et de Jean Huss (XV° siècle) qui, de leur propre chef, excluaient de l’Église les évêques mauvais, avec toujours le même  aboutissement : ils réduisaient l’Église à une société purement spirituelle, bien qu’organisée pratiquement, celle des « purs ». Il est à craindre que le sédévacantisme d’aujourd’hui ne soit pas indemne de ces écueils. Cette tendance est d’autant plus marquée lorsque certains d’entre eux en viennent à nier la validité des ordinations sacerdotales et des consécrations épiscopales faites selon le nouveau rite. Outre qu’une telle assertion est sans fondement sérieux (cf. Sel de la Terre, printemps 2023, p. 127 ss.) et a contre elle des faits patents (Voir note 02 en bas de page), elle aboutit à une négation pratique de la visibilité de l’Église.

Certes, ils vous diront ne pas la nier, mais la trouver dans le fait qu’il existe encore à leurs yeux quelques évêques et quelques prêtres validement ordonnés. Mais ce n’est pas là rendre compte de la visibilité de l’Église, loin s’en faut. En effet, les papes Léon XIII (enc. Satis Cognitum) et Pie XII (enc. Mystici corporis) expliquent, dans la pure ligne de la Tradition, que l’Église est visible non seulement du fait que ses membres soient visibles, mais encore et surtout en sa constitution même.

Une image aidera à comprendre cette distinction. Si on dit que par nature (par essence) toute maison est visible, ce n’est pas seulement du fait que ses volets ou ses tuiles soient visibles. On peut en effet les voir ailleurs que sur une maison, chez un marchand de matériaux par exemple. La maison est donc visible non seulement parce que ses éléments sont visibles (aspect matériel), mais encore et surtout en tant que maison (aspect formel), car sa structure est par nature visible : rez-de-chaussée, étage éventuel, toit, etc. Ainsi en est-il de l’Église. Pour affirmer sa visibilité, il ne suffit pas de dire que ses membres sont visibles, qu’il existe encore quelques évêques et quelques prêtres validement ordonnés. Cela rend si peu compte de la visibilité de l’Église qu’il existe des évêques et des prêtres validement ordonnés hors de son sein (chez les orthodoxes par exemple), tout comme il y a des volets et des tuiles ailleurs que sur la maison. Aussi, affirmer que l’Église est visible, c’est affirmer non seulement que ses membres pris individuellement sont visibles, mais encore et surtout que l’Église est visible en elle-même, par nature, entre autres et premièrement de par sa constitution hiérarchique telle qu’établie par le Christ : pape, évêques, prêtres, fidèles, etc. Cette Église visible, qui est l’Église une, sainte, catholique et apostolique, a reçu les promesses d’indéfectibilité : Les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle (Mt 16, 18).

De la visibilité de l’Église prise en son sens vrai, les thèses sédévacantistes ne savent plus rendre compte. Cela rend plus que suspecte leur opinion puisque, nous l’avons dit, une opinion théologique digne de ce nom se doit de respecter en tous points les données de la foi, tout en restant soumise au jugement de l’Église. Que les sédévacantistes ne sachent plus rendre compte de la foi de l’Église n’est pas sans poser quelques soucis, et donner une très grande fragilité à leur(s) thèse(s). Peut-être auraient-ils mieux fait d’écouter le conseil du sage : Ne cherche pas ce qui est au-dessus de toi, et ne scrute pas ce qui dépasse tes forces. Pense bien plutôt à ce que Dieu te demande, et n’étends pas ta curiosité à tout ce qu’Il fait ; Il t’a en effet révélé bien des choses qui dépassent l’entendement humain, et il en est beaucoup que leurs opinions ont égarés, si bien qu’ils se sont enchaînés à la vanité par leurs jugements (Eccli 3, 22-26).

Les limites du jugement droit 

Enfin, l’erreur des sédévacantistes est de poser un jugement hors de leur compétences – et des nôtres ! En effet, il y a jugement et jugement.

Certes, en cette crise d’autorité que traverse l’Église, le jugement moral est plus que jamais nécessaire. Prenant pour critère le bon sens surnaturel basé sur l’enseignement pérenne de l’Église, il permet de discerner le vrai du faux, le bien du mal, et même l’homme habituellement bon ou véridique de l’homme généralement fourbe et double. Un tel jugement est dit moral car orienté vers la conduite de vie : confier un secret à quelqu’un réclame de savoir préalablement si cette personne est discrète ou non. Un tel jugement moral est dit moralement bon quand il est nécessaire à ma conduite (ou à celle de ceux qui me sont confiés). C’est ainsi que je n’ai pas à juger de tout et de tous, mais uniquement des choses et personnes avec qui je suis en interaction, précisément pour me conduire droitement. Or telle est bien notre situation aujourd’hui devant les tenants de l’autorité ecclésiastique, et c’est pourquoi Notre-Seigneur nous réclame ce discernement : Méfiez-vous des faux prophètes, qui viennent à vous déguisés en brebis, mais au-dedans sont des loups rapaces (Mt 7, 15). Un tel discernement est en effet indispensable à notre salut : Des faux prophètes surgiront nombreux et abuseront bien des gens. Mais celui qui persévérera jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé (Mt 24, 11 et 13). En ces temps où tant d’individus revêtus d’autorité, loin de servir le Christ, s’emploient de fait à détruire son Église, il relèverait de l’inconscience de suspendre ce jugement moral. Loin de relever de la vertu, cette omission serait gravement repréhensible, tellement Notre-Seigneur le réclame encore dans la parabole du bon grain et de l’ivraie (Mt 13, 24-30) : le Maître n’y demande pas de confondre les deux, de prendre l’un pour l’autre et l’autre pour l’un ; le discernement est de mise, sous peine de tomber dans un effroyable relativisme qui mènerait à la perdition éternelle.

Pourtant, en cette même parabole, le Christ met en garde contre un glissement auquel n’échappent pas les sédévacantistes : il est tellement tentant de passer du jugement moral au jugement de rétribution ! Où se situe la distinction ? Si le jugement moral a pour fin de diriger sa propre conduite, il ne consiste pas à rétribuer celle des autres, bien que reconnue mauvaise ; c’est là le propre du jugement de rétribution, ou encore judiciaire. Ce dernier jugement ne revient qu’à celui qui est établi en autorité, car lui seul peut imposer en toute justice une peine au désordre d’autrui. Aussi Notre-Seigneur reprend-Il les ouvriers de la parabole, précisément parce qu’ils s’apprêtent à usurper le jugement de Dieu. S’ils doivent effectivement distinguer le bon grain de l’ivraie, il ne leur revient pas de brûler cette dernière.

La leçon du Christ, les sédévacantistes l’ont hélas oubliée. Si les ouvriers de la parabole désireux de ravager l’ivraie, de l’arracher et de la brûler, ont arrêté leur bras vengeur sur ordre du divin Maître, ce n’est pas le cas des sédévacantistes. Du pape, ils ont fait un autodafé.  Pourtant, pas plus que vous ou moi, ils n’ont reçu de délégation divine à cette fin. Aussi ne pouvons-nous que leur adresser le blâme autrefois prononcé par l’apôtre saint Jacques : Un seul est législateur et juge, c’est celui qui peut sauver et perdre ; mais toi, qui es-tu, qui juges le prochain ? (Jc 4, 12).

La distinction entre jugement moral et jugement judiciaire lève la contradiction que vous avez cru trouver chez Mgr Lefebvre lorsque d’une part il écrivait en 1987 que le siège de Pierre était occupé par l’antéchrist, mais que d’autre part il continuait à agir comme si celui qui occupait ce même siège de Pierre était effectivement son successeur. La première affirmation relève d’un jugement moral, la deuxième manifeste qu’il s’abstient du jugement judiciaire. Oui, quant au jugement moral, on peut dire en toute rigueur de terme, quoiqu’avec une terreur profonde, que l’actuel occupant du siège de Pierre est un antéchrist, selon la parole même de saint Jean : Tout esprit qui dissout (qui solvit) Jésus n’est pas de Dieu, mais c’est là l’antéchrist, dont vous avez entendu dire qu’il doit venir, et qui est déjà dans le monde (1 Jn 4, 3). Dissoudre Jésus-Christ : c’est exactement ce que font les papes modernes. Ils relativisent Notre-Seigneur Jésus-Christ, par exemple en reniant la doctrine du Christ Roi par la liberté religieuse, ou encore par leur oecuménisme et leur dialogue interreligieux qui ne sont qu’un relativisme religieux cachant son nom. Mais si grave que soient ces fautes, si lourde que soit la responsabilité des derniers papes, jamais Mgr Lefebvre ne s’est permis de déclarer que le pape n’était pas pape ; il refusait de poser ce que nous appelons un jugement judiciaire.

L’attitude de Mgr Lefebvre 

Vous me rapportez la série de citations que les sédévacantistes ont extraites des interventions de Mgr Lefebvre pour tenter de légitimer leurs positions. S’il est clair qu’à plusieurs reprises « l’évêque d’Ecône » a soulevé la question, il vous faut également reconnaître avec moi la malhonnêteté du procédé des sédévacantistes. En effet, Mgr Lefebvre a toujours refusé que cette éventuelle opinion personnelle soit érigée en principe d’action, au point de poser comme condition à l’ordination sacerdotale la reconnaissance des autorités romaines.

D’ailleurs, la fois où, de l’avis de tous, il souleva avec le plus d’insistance cette question fut en 1986, en son sermon de Pâques. Il y évoquait la réunion interreligieuse d’Assise qui allait se dérouler en octobre suivant, organisée par le pape lui-même. Cette nouvelle ébranla très profondément l’ancien missionnaire d’Afrique. Aussi, devant ce « dilemme extrêmement grave », il interroge le droit canon (la loi de l’Église) de 1917, qui interdisait absolument toute participation aux faux cultes, au point de considérer comme suspect d’hérésie celui qui contreviendrait à ladite interdiction. C’est alors qu’il prononce la fameuse phrase citée en boucle par les sédévacantistes : « Il est possible que nous soyons dans l’obligation de croire que ce pape n’est pas pape ». Mais, en leur malhonnêteté, ils omettent les mots qui suivent immédiatement : « car il semble à première vue – je ne veux pas encore le dire d’une manière solennelle et formelle – mais il semble à première vue qu’il soit impossible qu’un pape soit hérétique publiquement et formellement ». S’il s’interrogea ainsi publiquement sur une possibilité, il refusa de se prononcer d’une manière solennelle et formelle. Il le fit encore moins par la suite, une fois l’ébranlement passé. Un an après, il était au contraire en relation avec ces mêmes autorités, qu’il déclarait reconnaître.

De ce sermon, j’aurais préféré que les sédévacantistes retiennent la consigne pratique que Mgr Lefebvre donnait ensuite : « Que faire, mes bien chers frères, mes bien chers amis ? Prier. Devant cette situation de l’Église, nous devrions prier du matin au soir, jour et nuit, prier la très sainte Vierge de venir au secours de son Église. » Pour leur part, habités par leur passionnelle vindicte, les sédévacantistes ne prient plus pour le pape, et condamnent tous ceux qui le feraient. Quel paradoxe !

Conclusion : quelle attitude pratique avoir ? 

Notre situation de fils de l’Église en ces temps d’épreuve pourrait être comparée à celle d’un enfant dont le père serait atteint d’une maladie aussi grave que mystérieuse, et qui plus est contagieuse. En son délire, ce père voudrait embrasser son enfant et lui communiquer sa maladie. Il serait inconcevable qu’en raison de cette maladie, même si elle a été contractée volontairement, cet enfant renie son père. Il serait également aussi vain que dangereux pour lui, qui n’est pas médecin, de prétendre apporter un diagnostic exact sur l’étendue du mal, pour imposer ses remèdes ; qu’il laisse cela aux spécialistes ! Pour sa part, qu’il se protège des agissements de son père tant que sa maladie demeure ; son père le lui aurait ordonné s’il avait été en bonne santé, précisément pour ne pas contracter son mal. À cet enfant, il revient encore, selon ses possibilités, d’implorer les spécialistes en médecine afin qu’ils se penchent sur la maladie de son père, pour le guérir.

Si toute comparaison est trompeuse, celle-ci a pour elle d’indiquer quelle attitude pratique avoir en ces temps où le siège de Pierre semble occupé par l’antéchrist. Diagnostiquer l’étendue exacte du mal n’est pas de notre ressort, et il relève de la plus élémentaire humilité de suspendre son jugement lorsqu’il s’agit de savoir si le siège de Pierre est actuellement occupé par un pape ou un anti-pape. Laissons ce jugement aux papes de demain, et implorons les « spécialistes » célestes afin qu’ils intercèdent auprès de Dieu pour l’Église qui, rappelons-le, survivra à toute cette malice : les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle (Mt 16, 18).

D’un point de vue pratique donc, faute d’éléments suffisants, reconnaissons le(s) pape(s) actuel(s), tout en nous préservant de l’influence mortifère qu’il(s) veu(len)t exercer sur nous. Plus de deux cents papes, habités par une foi saine et souvent sainte, ont indiqué comment vivre en chrétiens. C’est eux qu’il faut écouter, et non les mauvais pasteurs d’aujourd’hui. C’est la Tradition bimillénaire qu’il faut suivre, et non les idéologies du monde qui ont envahi les hommes de Dieu. C’est l’obéissance à foi de toujours qu’il importe de garder, et non une obéissance servile à des loups déguisés en brebis. Ces derniers, laissons Dieu les juger : Ils seront confondus, car ils ont commis des abominations ; mais ils ne savent même plus rougir, et ils ne connaissent plus la honte ! C’est pourquoi ils tomberont avec ceux qui tombent ; ils s’affaisseront au jour où je les visiterai, dit Yahvé (Jr 6, 15). Et Dieu de continuer aussitôt à notre endroit : Tenez-vous sur les routes, et voyez ; informez-vous des sentiers d’autrefois : quelle est la voie du salut ? et suivez-la, et vous trouverez du repos pour vos âmes (Jr 6, 16).

Abbé P. de LA ROCQUE 

Notes de bas de page

Note 01 – Le una cum de la Messe

Dès la première prière du canon, le prêtre implore Dieu pour qu’Il agrée le sacrifice de Messe. Lui présentant l’Église entière, il lui demande de lui « donner la paix, de la protéger, de la maintenir dans l’unité et la gouverner à travers le monde entier et, avec elle (una cum) votre serviteur notre pape N. et notre évêque N. ». Les sédévacantistes estiment devoir supprimer cette mention du pape au canon (les premiers à le faire furent des schismatiques d’Orient au V° siècle) pour manifester combien ils ne sont pas en communion avec le pape actuel lorsqu’il attaque la foi de toujours. Il est à craindre qu’ils n’aient pas compris le sens de cette prière, qui est double. Elle indique tout d’abord que le prêtre à l’autel agit au nom de toute l’Église qu’il incarne, et d’autre part que les fruits du sacrifice qu’il officie sont destinés à toute l’Église. En premier lieu, le prêtre à l’autel incarne l’Église universelle. Bien sûr, à la consécration, le prêtre ne parle pas au nom de l’Église, mais « prête sa langue au Christ » (saint Jean Chrysostome), et agit donc in persona Christi. Mais, dans la plupart des autres prières, le prêtre parle au nom de l’Église entière, d’où le pluriel que souvent il emploie, quand bien même il n’y aurait aucun assistant : nous vous prions, nous vous supplions, etc. C’est précisément pour manifester qu’à l’autel l’Église entière s’incarne en lui que le prêtre dit prier una cum le pape, l’évêque du lieu, tous les prêtres (omnibus orthodoxis) et fidèles (catholicæ et apostolicæ fidei cultoribus), manifestant ainsi l’unité et la visibilité de l’Église qu’il incarne alors. Le una cum ne signifie donc nullement la participation du prêtre aux actes du pape, qu’ils soient bons ou mauvais, mais la participation du pape (en tant que chef de l’Église visible) et de toute l’Église à son action à lui lorsqu’il célèbre la messe. La communion en question, loin d’être une communion intérieure de sentiments, est la communion hiérarchique sur laquelle se fonde la visibilité et l’unité  de l’Église, à l’instant incarnée dans le célébrant. Par voie de conséquence, si le prêtre à l’autel incarne l’Église entière en tant qu’elle est une, alors les fruits du sacrifice qu’il offre sont appelés à rejaillir sur toute l’Église. Priant donc pour toute l’Église, il ne peut que rajouter una cum le pape, l’évêque, tous les prêtres et fidèles, afin que soit exprimée l’unité – et donc la visibilité – de l’Église pour qui il prie.

Note 02 – Quelques leçons d’un récent miracle eucharistique

Le 12 octobre 2008, le Père J. Ingielewicz célèbre la Messe à l’église Saint-Antoine, à Sokótka (Pologne), en présence de deux cents personnes. En distribuant la communion, il laisse tomber une hostie à terre. La ramassant, il la met dans un vase d’argent empli d’eau pour que l’hostie se dissolve, puis place le tout dans un coffre-fort à la sacristie. Deux semaines plus tard, non seulement l’hostie ne s’est pas dissoute dans l’eau, mais une forme évoquant une tache de sang est apparue. Bouleversés, le prêtre et son curé en réfèrent à l’évêque, Mgr Edward Ozorowski. À sa venue, la sainte hostie montre, outre la tache de sang, quelque chose qui ressemble à une substance organique. Le 5 janvier 2009, l’évêque confie à deux experts de l’Université de Bialystok deux parcelles de cette hostie, pour analyse. Après avoir travaillé séparément, ils aboutirent à la même conclusion : ce qu’on leur a remis provient du tissu d’un muscle cardiaque humain encore en vie, mais à l’agonie. Le premier, le professeur Sulkowski déclare avoir observé la présence « de nombreux indicateurs typiques bio-morphologiques des tissus du muscle cardiaque », ainsi que des dommages visibles sous forme de petites ruptures des fibres du tissu. Il ajoute : « Ces dommages ne peuvent être observés que dans des fibres vivantes et ils sont des signes de spasmes rapides du muscle cardiaque dans la période qui précède la mort. » La professeure Sobianiec confirme : « Il s’agit du tissu du muscle cardiaque en vie. » Et de manifester sa stupéfaction devant un tissu resté vivant après avoir été séparé de l’organisme dont il était partie intégrante. Elle explique : « C’est un phénomène incroyable. Pendant longtemps, l’hostie est restée immergée dans l’eau, puis déposée sur le corporal ; donc le tissu devrait avoir subi le processus “d’asphyxie”, mais cela n’a pas été observé par nos tests… L’état actuel des connaissances en biologie ne nous permet pas d’expliquer scientifiquement ce phénomène. » D’autre part, le sang de l’hostie a les mêmes caractéristiques que celui du Suaire de Turin et du miracle de Lanciano. Rendant grâces pour ce miracle attesté, soulignons à l’endroit des sédévacantistes que le père Jacek Ingielewicz, consécrateur de l’hostie miraculeuse, fut ordonné prêtre le 11 juin 2005 par Mgr Wojciech Ziemba selon le rite réformé de Paul VI. Quant à Mgr Wojciech Ziemba, il a été sacré évêque le 4 juillet 1982 par Mgr Glemp, selon le nouveau rite de la consécration épiscopale. Ce miracle atteste donc, entre autres, qu’on ne peut considérer les nouveaux rites d’ordination et de consécration épiscopale comme systématiquement invalides. Comme le dit le vieil adage, contra factum non fit argumentum, aucun argument contraire ne tient devant les faits avérés.