Réponse à Eléments

Voici un article de Mario Varraut, contributeur au magazine Réflexions.

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Les Céliniens contre Céline

La revue Eléments s’intéresse au très bon livre de mon camarade Bruno Hirout consacré à Louis-Ferdinand Céline. Être chroniqué par Eléments est certes une marque de reconnaissance. Et comme on le dit souvent, mieux vaut qu’on parle de vous, même en mal, plutôt que d’être ignoré. Certes. Mais cette critique est un sommet de la mauvaise foi habituelle de la revue. Regardons un peu de plus près. 

D’abord le titre « Céline réduit à son racisme ». De la part d’une revue qui publie des articles dans le style « L’homme européen, 30 milliards d’années d’histoire » ou encore « Paléo-génétique des Germains en Bavière méridionale », cela ne manque pas de toupet. Mais surtout, reprendre l’argumentaire d’une certaine gauche esthète à propos de Céline ou d’une certaine droite planquée (mais ce sont des syntagmes souvent synonymes) ne rend pas service à la compréhension de l’oeuvre profonde de Céline. 

Le véritable problème est que l’oeuvre de Céline a été confisquée par les Céliniens. On ne trouvera pas plus éloigné de l’ardeur du langage de Céline qu’un Célinien, ce ventriloque triste.  Le Célinien vit par procuration (ou plutôt écrit par procuration) la langue d’un écrivain dont il n’aura jamais le talent ni le génie. Si j’étais pédant (donc si j’écrivais dans Eléments) on appellerait cela une prosopopée ratée (une prosopopée étant la figure de style consistant à faire parler un mort, en rhétorique). 

Bruno Hirout, quant à lui, propose une prosopopée réussie : il redonne directement la parole à Céline. Et là surprise : le discours réel de Céline n’est pas vraiment celui des Céliniens. Eh oui : la race y tient une place prépondérante. Et pas l’identité, la culture, et tous ces vocables pusillanimes agités par la Nouvelle Droite depuis 40 ans pour ne pas avoir à appeler un chat un chat. Comment enfin ne pas rappeler que, par endroits, le style de Bagatelles est le laboratoire artistique du Céline de l’après-guerre (les Ballets présentant une réinvention de son écriture, radicalisant son oralité, son innovation, ce qui annonce Féérie pour une autre fois) ?

Pour conclure, on sera sans doute paradoxalement d’accord sur un point avec le chroniqueur d’Eléments : l’œuvre de Céline « n’appartient à personne ». Et l’on serait tenté d’ajouter : et surtout pas aux Céliniens autoproclamés. Car l’œuvre de Céline, loin d’être un exercice de style vaguement jazzy et relativiste, est adossée à une vision du monde. Encore faut-il avoir l’honnêteté de la retranscrire.