Et si nous arrêtions d’idolâtrer les orthodoxes ?

Voici un article édifiant de monsieur l’abbé Du Thail, contributeur régulier de ce blog. Cet article a le mérite de nous donner, entre autres, un peu de hauteur sur certains conflits passés et en cours, et nous rappelle qu’en tant que nationalistes et catholiques militants, nous avons forcément un point de vue moins manichéen que ce que nous proposent les journalistes du régime et, surtout, nous n’oublions pas que le premier qui doit être servi, c’est Dieu.

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Le 16 novembre 2022, deux prêtres grecs-catholiques ukrainiens sont arrêtés à Berdiansk, ville de cette partie de l’Ukraine maintenant occupée et annexée par la Russie : ils sont accusés par les Russes de détenir des armes, des explosifs et des livres d’histoire donnant une « mauvaise » vision de l’histoire de l’Ukraine. Curieusement, cette nouvelle est passée totalement inaperçue dans « nos milieux », alors que dans le même temps, ces mêmes « milieux » s’émouvaient des perquisitions et arrestations opérées par le gouvernement de Kiev contre les orthodoxes restés partisans du patriarche de Moscou : un « deux poids deux mesures » qui peut paraître étonnant alors que l’on compte parmi les nationalistes français bien plus de catholiques que d’orthodoxes, mais qui ne l’est plus guère lorsqu’on est habitué au tropisme pro-russe dominant chez nous pour des raisons géopolitiques. Ici, il ne sera pas question d’une énième dissertation sur la nouvelle « guerre froide » à laquelle nous assistons, notre propos se cantonnera à quelques brefs rappels historiques pour que, quelles que soient les positions des uns et des autres sur la géopolitique actuelle, certaines vérités soient tout de même un peu plus connues.

En effet, il n’est pas étonnant que les grecs-catholiques ukrainiens ne partagent pas l’engouement pro-russe de beaucoup de catholiques occidentaux, alors qu’ils ont été persécutés durant des siècles par la Russie tsariste (plus encore que les catholiques latins polonais ou lituaniens) puis, comme tout le monde, par les communistes. C’est donc fort logiquement qu’ils ont accueilli les Allemands en libérateurs en 1941 et se sont massivement engagés à leurs côtés avec la bénédiction de leurs évêques, notamment dans la division SS Galicie (qui comprenait en tout 12 aumôniers, catholiques pour la plupart) : on comprend mieux la persistance du fameux « nazisme ukrainien » dénoncé par la propagande russe.

Notons que, du côté des orthodoxes russes, malgré les persécutions et massacres subis, Staline trouva un patriarche bien accommodant en la personne du métropolite de Moscou Serge Ier, qui osait dire à la presse étrangère en 1930, au milieu des massacres de popes, qu’il n’y avait pas de persécution religieuse en URSS et que le christianisme partageait de nombreuses choses avec le marxisme ; c’est donc sans trop de surprise qu’on le retrouve en 1941 appelant ses fidèles à défendre l’Union Soviétique contre les « fascistes »… Cette même politique de soumission au Kremlin, qu’on a appelé « sergianisme », sera suivie par ses différents successeurs jusqu’à aujourd’hui, l’allégeance étant seulement passée de l’URSS à la Fédération de Russie. On ne sera donc guère étonné que, en novembre 2015, l’actuel patriarche Cyrille (ami de Poutine et ancien agent du KGB) ait soutenu la volonté gouvernementale de réhabiliter Staline : « on ne doit pas douter des mérites d’un homme d’État qui a conduit son pays à la renaissance et à la modernisation même s’il a commis quelques crimes[1] ». Pour rappel, la présence d’orthodoxes russes parmi les observateurs non-catholiques au concile Vatican II a été conditionnée par le patriarcat de Moscou à la non-condamnation du communisme par le concile.

Cette alliance orthodoxes-communistes se retrouve dans les deux « républiques populaires » prorusses du Donbass (celle de Donetsk étant plus nationaliste orthodoxe et celle de Lougansk purement néo-soviétique) mais surtout dans la Russie de Poutine, dont le christianisme orthodoxe complaisamment affiché face à « l’Occident décadent » est associé avec les nombreuses statues de Lénine érigées partout (dont le cadavre embaumé trône dans un mausolée sur la place centrale de Moscou, la bien nommée « Place Rouge »), la glorification permanente de l’Armée Rouge et le refus continuel de toute réhabilitation ou même hommage envers ses adversaires[2], sans parler des alliances avec à peu près tous les États marxistes du globe terrestre.

Mais les Russes ne sont pas les seuls orthodoxes qui suscitent l’engouement voire la fascination dans les milieux nationaux et catholiques français, ceux-ci sont souvent aussi de grands défenseurs de la Serbie. S’il est vrai que la version des grands médias occidentaux, selon lesquels les guerres des Balkans se résument aux méchants serbes massacrant leurs gentils voisins musulmans innocents, est évidemment grotesque, « nos milieux » ont là encore beaucoup trop tendance à remplacer un manichéisme simpliste par un autre en faisant de la Serbie le rempart de la Chrétienté face aux hordes islamiques.

D’abord, il faut rappeler que les guerres des Balkans sont ethniques avant d’être religieuses. Ensuite, les Serbes n’ont pas affronté que des musulmans, loin de là, mais aussi les catholiques slovènes et surtout croates. En effet, beaucoup de catholiques français grands défenseurs des Serbes seraient sans doute étonnés d’apprendre la haine dont ils ont souvent fait preuve, rien que dans le siècle écoulé, envers le catholicisme. Ainsi, dans les années 1941-1945, alors que les Oustachis (croates nationalistes et catholiques) étaient alliés aux Allemands, les Tchetniks (résistants serbes royalistes et orthodoxes) brûlaient des villages croates, massacrant les habitants, et prenaient plaisir à écorcher vif les prêtres catholiques : et nous parlons bien ici des Serbes orthodoxes anticommunistes, et pas des partisans communistes de Tito. Dans les années 1990, la propagande serbe fit preuve non seulement du même antifascisme que la propagande russe actuelle, dénonçant ses adversaires croates (non sans raisons) comme des « fascistes » et « nazis » nostalgiques des Oustachis, mais fit preuve d’une continuelle rhétorique anticatholique, dénonçant le Vatican comme l’une des composantes du vaste « complot anti-serbe » , tandis que sur le terrain les soldats serbes massacraient des milliers de catholiques ; il faut dire que le président serbe d’alors, Slobodan Milosevic, illustre là encore cette convergence orthodoxes-marxistes puisque fils d’un pope et d’une institutrice militante communiste et lui-même ancien haut fonctionnaire communiste devenu comme beaucoup socialiste après la chute du mur de Berlin : cet homme de gauche athée n’a rien du grand dirigeant nationaliste et chrétien fantasmé par de nombreux nationalistes occidentaux.

Nous nous sommes ici concentrés sur les deux peuples dont il est plus souvent question et sur l’époque contemporaine, mais nous pourrions rappeler aussi de nombreuses autres choses, leurs graves erreurs théologiques (car ces schismatiques orientaux sont bien improprement appelés « orthodoxes ») comme les innombrables persécutions qu’ils ont fait enduré aux catholiques (du temps des empereurs byzantins comme des tsars russes), saluons seulement au passage la grande figure de Saint Josaphat, grec-catholique ukrainien, archevêque de Polotsk et mort martyr en 1623 assassiné par les orthodoxes à Vitebsk[3], et toujours attaqué par eux comme « intolérant ».

Enfin, nous terminerons, pour donner une idée de la « bienveillance » des orthodoxes envers les catholiques, en citant la vieille inscription (datant vraisemblablement d’avant la chute de Constantinople en 1453) que l’on peut lire au célèbre monastère grec du Mont-Athos : « plutôt le croissant[4] que la tiare[5] ».

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Notes :

1 Pour donner une idée de ces « quelques crimes », 85 000 prêtres orthodoxes sont tués au cours de la seule année 1937…

2 Ainsi, la « journée du légionnaire » qui se déroule tous les 16 mars en Lettonie pour rendre hommage aux soldats de la Légion lettonne (deux divisions SS ayant combattu les Rouges de 1943 à 1945) suscite chaque année la protestation indignée de l’ambassade de Russie ; en République tchèque, son homologue de Prague a protesté contre le maire d’un quartier de la ville qui souhaitait, en 2019, ériger un monument en l’honneur de l’armée Vlassov (volontaires russes de la Wehrmacht), et on pourrait encore citer beaucoup d’autres cas.

3 Polotsk et Vitebsk se trouvent actuellement en Biélorussie.

4 Croissant islamique bien sûr.

5 Couronne portée par les papes jusqu’à Paul VI.